Posts Tagged 'Shinya Tsukamoto'

Out, de Natsuo Kirino

Leur constat est le même, ou se ressemble beaucoup : leur ville, leur pays, en tout cas leur environnement, est inhumain. Les personnages féminins souffrent particulièrement, chez elle, des conditions de vie qui lui sont infligée : femmes seules ou accompagnées de maris en lambeaux, ou violents, ou chargées d’enfants, elles travaillent la nuit, dans une usine sordide, au milieux de collègues machos, pour les hommes, ou dominatrices, pour les femmes, en tout cas au milieu des machines implacables qui rythment leur travail, fabriquer des repas pour les supermarchés, qu’elles subissent pour survivre dans la société capitaliste japonaise, qui leur permet de vivre dans des taudis ou des boites à chaussures. Elle partage avec T. une ville : Tokyo, et une interrogation : comment survivre en terre inhumaine ? Etrangement leur « solution » est similaire : pour vivre ici, c’est bien simple, il faut participer à l’effort universel de destruction, à l’autodestruction, et ne plus seulement la subir, puisqu’on ne peut faire comme si la violence n’était pas là et qu’elle ne faisait pas mal. Les personnages alors, révoltés (paradoxaux) contre leur condition de victimes, se lancent à corps perdu (cf. au sens stricte : l’homme machine du premier film de T., Tetsuo) dans les bras de la force réelle, celle de la violence brutale, du meurtre, de la force impersonnel, de la machine etc. Le moins qu’on puisse dire est que ce n’est pas une éthique qui aille de soi. Qui pourrait dire qu’il ne s’agit que d’une mode tokyoïte ? L’inhumanité, dans ces fictions, ne tient pas seulement aux machines qui entourent les personnages (ce ne sont bien, sûr, que des personnages et je ne me reconnais dans aucun des aspects de leur appréciation des sociétés modernes), à la technologie qui repousse les limites de leurs forces, mais à la mécanisation des rapports humains, de travail, de commerce etc. L’humanité plaquée dans les coins. Une des personnages du roman, une fois le meurtre commis, s’efforce de considérer le cadavre comme une chose, pour faire passer la pilule, pour ce dire que ce qu’elle est en train de découper n’est pas un homme, mais l’autre lui répond qu’elle se trompe, pourquoi manquer ainsi de respect à ce cadavre : elle, vivante, peut aussi bien être considérée comme une chose que le cadavre qui souille sa baignoire.
En lisant Out, de Natsuo Kirino

A partir de Haze, de Tsukamoto

A quoi ressemblerait ton enfer ? Qu’est-ce qui l’habite ? Ton père, ta mère, ton voisin, ton prof, un type que tu n’as vu qu’une fois mais dont l’image reste poisseuse, ta femme, ton ex, ton patron, une armée de patrons qui cherchent à te faire bouffer tes oreilles et à t’arracher les yeux, ou les classiques mais virulents démons de tes cauchemars ? Dans celui-ci il est seul, du moins c’est ce qu’il semble, même s’il semble craindre la présence de quelque chose planqué dans l’ombre, une vague lueur jaunâtre atteint difficilement son visage, la sueur qui le recouvre, plutôt. A vrai dire, il est paniqué. Où est-il et pourquoi ? Dans des égouts, au milieu de tuyauteries sans fin ? Ces jambes qui traînent appartiennent-elles au visage qu’on a aperçu, ou l’inverse, ou n’ont-elles rien à voir et sont-elles douées du pouvoir de se mouvoir par soi-même ? Les membres d’arrachent ou se dédoublent, semblent vivre leur propre vie, à nos dépends. Cette impression sûrement n’est pas des plus agréables. Le démon qu’on vient d’apercevoir, ou qu’on a cru apercevoir, est-ce vraiment la bête qu’on croit, ou seulement le personnage qui essaie de fuir ? Qui est le monstre qui le torture, qu’on n’aperçoit pas, s’il y en a un ? Il doit bien en avoir un puisqu’il pisse le sang et qu’il aperçoit dans mouvements, et qu’il a bien fallu que quelqu’un l’amène ici. Dans ton enfer, serais-tu contraint de plonger dans une mare de sang où trempent les membres de tes congénères, qui ont peut-être eu la même idée que toi : plonger dans ton angoisse pour ressortir de l’autre côté, ou bien ton enfer serait-il moins spectaculaire, moins horrifique ? Est-ce que quelque chose, que tu ne peux voir, te frapperait sans cesse l’arrière du crâne sans que tu puisses bouger, mais seulement gémir ? Est-ce que tu glisserais le long d’un tuyau auquel tu pendrais par tes dents ? Et s’il y avait quelqu’un dans ce trou, est-ce qu’il chercherait à te bouffer le crâne ou est-ce qu’il serait possible d’unir ses efforts pour s’échapper ? S’échapper de l’enfer, drôle d’idée ? Est-ce qu’il pourrait servir de décor à une belle histoire d’amitié genre « l’amitié ne s’éprouve vraiment que dans les moments les plus horribles de l’existence » ? Une comédie alors. Lui ne sait pas où il est et ne se souvient de rien, mais il rencontre une femme, une femme qu’il connaît même s’il ne s’en souvient, qui l’incite à la suivre car elle pense connaître le chemin qui conduit à la lumière ou juste ailleurs, ou quelque chose comme ça, même s’il est probable que sur ce chemin ne se trouve que la chose, celle dont le comportement explique la présence de ces bras arrachés de leur tronc, et ces membres déchiquetés. Son seul souvenir, sa seule vision : des jeunes gens se font massacré. Et quel rôle jouait-il dans cette scène ? Est-ce qu’il faut mériter son enfer ? Quel serait mon rôle dans mon propre enfer, celui de la victime, ou serais-je contraint de me comporter comme une merde pour l’éternité, de faire souffrir, et de ne pas pouvoir le supporter, ou bien est-ce que les tortionnaires, dans cet enfer, sont-ils finalement dans un état de liberté totale et attendent simplement qu’on leur fournisse de nouveaux corps pour leurs expériences. Est-ce qu’en enfer on peut assouvir tous ses délires de puissance jusqu’à s’étouffer sans dans son pitoyable rire-sanglot de porc repus ? Un enfer libéral, en somme. Un bel enfer à son image. Peut-être qu’on a le choix entre différentes destinations, qu’on peut faire un peu de tourisme, jouer un rôle, puis l’autre, porter le déguisement du démon du cercle de l’enfer qu’on préfère (rime pour un slogan, pour encourager l’économie du tourisme dans l’au-delà, la concurrence est rude), à condition de ne pas y prendre de plaisir, évidemment, même pervers ou simplement ambigu.

(Hier j’ai regardé Haze, de Tsukamoto)

Bullet Ballet, de Tsukamoto

Tsukamoto donne et prend des coups. Dans Bullet Ballet comme dans Tokyo Fist il joue le rôle d’un type moyen bouffé par la violence, celle des autres ou/et la sienne, dans un décor bétonné peu propice à la naissance d’une quelconque humanité, ou même simplement à l’émergence de la vie.
Quelle sorte de cinéma un tel environnement peut-il produire? Un cinéma brisé, fracassé, la façon de filmer les personnages ne cesse d’évoluer, comme les lieux des villes (ce trait dissonant semble caractériser tout particulièrement Tokyo), artificiels, sont créés de toute pièce : Tsukamoto ne cherche pas d’harmonie derrière les contrastes sonores, visuels, les ruptures incessantes entre les routes, le bureau, la rue, l’appartement bourgeois, les stroboscopes d’une boîte de nuit ou le métro, contrastes soulignés par le noir et blanc et par l’instabilité du point de vue de la caméra, qui répond aux émotions des personnages.

Le film peut, je ne l’ai vu qu’une fois, je vais sans doute être « obligé » d’en reparler, il peut être saisi comme le fruit contradictoire des volontés de fuir et de se battre (excuse-moi, j’essaie de condenser du coup c’est pas terrible). D’abord un suicide. Celui d’un personnage qu’on ne connaîtra pas, l’amie du personnage principal avec qui il avait une conversation insouciante une seconde plus tôt. Il va chercher à se procurer la même arme (un 38 spécial) que celui qui a servi à son amie à mourir. En même temps il va chercher à sauver une jeune (et jolie) prostituée, qu’il avait, croit-il sauvé d’une tentative de suicide, en fait une arnaque organisée par un mac, qui le tabasse sous les yeux indifférents de la fille. Le type va chercher à se venger, mais on ne sait plus de quoi au juste, de l’humiliation qu’il a subi dans une rue de Tokyo, ou de la mort de son amie, ou de sa vie de merde. Il se rebiffe, mais il n’a pas fini de prendre des coups. Il essaie de « sauver » la jeune femme qui lui crache à la gueule, et il se retrouve pris, à cause de son flingue, dans une guerre de gangs. La multiplicité des couches à exploiter permet sans doute à Tsukamoto de se lâcher, les changements de rythme sont brutaux, et on cherche parfois un peu d’air, on est sidéré par les monstres humains, les personnages, et par l’étrangeté esthétique du film, entraîné par les personnages, en empathie avec eux, alors que le décor de la ville est toujours vide et inerte (on peut filmer une ville vivante, lui choisit de filmer la pierre, le béton, les immeubles immenses, la disproportion inhumaine des constructions) ; la vie est cantonnée dans les ruelles ou les plis, et y est soumise à la peur et à la violence. Comment s’échapper?

Tokyo Fist, de Shinya Tsukamoto

Dès la première seconde on sait où se trouve, où on est pris, et qu’il va falloir s’accrocher : une musique minimaliste répétitive hyperrapide, comme les coups de poing des boxeurs qui s’entrainent, de plus en plus vide, de plus en plus précis, comme les immeubles de Tokyo, immenses, aux étages parfaitement symétriques, infiniment identiques.

Un salarié, un VRP même, qui ne demande rien à personne, qui n’est personne, joué par le réalisateur, accepte, bonne poire, de rendre service à un de ses collègues trop occupé à se la couler douce pendant que l’autre fond sous le boulot. Il rencontre. Rencontre fatale. Il rencontre un ancien ami de lycée. On ne sait pas ce qu’ils se disent, on apprendra. Seulement quand il rentre il demande à sa « chère et tendre » de dire à Kojima qu’il n’est pas là, s’il le demande. Et en effet il viendra lui rendre visite, rendre visite à sa femme, et le pauvre type perdu ne sait plus ne sait pas quoi en penser. Est-ce qu’elle a embrassé ce boxeur? Est-ce qu’elle a couché avec lui, ou plutôt, question plus importante : que représente-t-il pour elle?

Qui donnera les coups? Qui aime s’en prendre plein la gueule? Qui refuse de crever sous les coups de poings, qui font exploser les faces le sang jailli, plus abondant que si personne ne cherchait à les détruire, s’ils ne cherchaient pas les coups, brutaux, répétitifs et incessants, comme le béton, comme la musique, comme la caméra frénétique, perdue et desespérée, qui cogne mais qu’est-ce qui cogne au juste là-dedans qui veut sortir, est-ce qu’il y a seulement quelque chose? Faut voir.


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