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Echange Pialat – Depardieu

Il lit sans doute trop. Il joue trop aussi, il se laisse emporter par le plaisir de faire résonner la bonne tirade dans les micros attentifs. On lui demande de parler d’un de ses maîtres, d’un homme qui a fait qu’il est ce qu’il est, mieux qu’un père, mais, devant la caméra, il ne peut s’empêcher de jouer la comédie, d’une autre façon qu’au quotidien quand il bosse, où le texte lui est fourni, où son jeu est dirigé, non, cette fois il essaie de dire son propre texte, il essaie de se prendre pour un semblable de l’auteur qu’il admirait, pourtant on ne peut s’empêcher de se dire que tout ce qu’on voit c’est qu’il joue encore. Il essaie de dire quelque chose de sensé mais il n’arrive qu’à associer des idées éparses, sans apporter de fond à ses phrases, sans parvenir à produire autre chose qu’un ensemble désarticulé. Cette impression qu’il reste à la surface. Il dit lui-même, tout en lisant Saint Augustin, que dans son métier le risque de tomber dans la connerie est permanent, et même si d’aucun ricanera en repensant à tous les navets dans lesquels il a joué, en le voyant enfiler les phrases dans le vide, sans consistance apparente, on ressent une telle tristesse pour cet homme qui a rencontré le succès, qui a joué pour certains des plus grands cinéastes, mais qui finalement regrette de n’avoir donné que son apparence à ce qu’il y a de plus solide et d’éternel. Je l’imagine en train de lire sans cesse ce genre de texte de philosophie ou de théologie, d’une beauté et d’une densité incroyable, et, en tant que lecteur, je le voie se sentir un moment l’incarnation de cette pensée, comme s’il jouait à être l’auteur de ce qu’il lit, et je vois sa tristesse, quand il arrête et que l’impression s’évanouit, qu’il se rend compte qu’il n’a pas compris ce qu’il croyait saisir instantanément, au moment où sa diction soulignait chaque accentuation et chaque nuance de sens, qu’il projetait chaque intonation. Est-ce qu’il éprouve la sensation de disparaître en même temps qu’il arrête de lire, est-ce qu’il a l’impression d’être resté au niveau de la syntaxe du texte, sans atteindre sa chair, lorsqu’il n’a plus en tête que ses propres pensées, une succession de phrases creuses, pleines des grands mots qui restent de ses lectures. Ça pourrait donner envie de chialer un truc comme ça, mais pas forcément de tristesse, mais au contraire de sympathie et de compréhension.

Une interview de Depardieu en bonus de Sous le soleil de Satan de Pialat


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