Judas Iscariote, Léonid Andeïev

C’est l’amour qu’il éprouvait pour Jésus qui poussa Judas à le trahir et le livrer à ses ennemis. Pour comprendre ce mystère, il faut lire la nouvelle d’Andreïev « Judas Iscariote ».

Judas est mal-aimé. Pire : c’est un monstre, une sorte de chien à la démarche tordue, fuyant toujours les coups mais près à mordre, toujours à médire sur la nature humaine, et toujours mentant et volant. Il est hideux. Sa face est partagée entre la malice d’un oeil instable toujours rieur et scrutateur, et un autre oeil qui semble mort (comment être sûr avec pareil dissimulateur?), qui semble vous fixer sans cesse pour vous écraser. La laideur de Judas occupe tout un premier chapitre, car il y a à dire. Sa laideur et sa méchanceté sont telles que tout le monde le fuit, même les criminels.

Cependant Jésus l’accepte parmi les élus, même si « on avait très souvent averti Jésus-Christ que Judas de Kerioth avait fort mauvaise réputation, et qu’il fallait s’en méfier ». Car, évidemment, il sait.

Judas ne cesse d’offrir son amour à Jésus, à sa façon. Pour Judas, lui seul aime le Christ comme il le faut, les autres disciples mentent plus que lui car leur amour est factice. Judas trahit par amour, d’un baiser, les autres sont des lâches qui n’osent pas prendre les armes pour défendre leur maître, et, au lieu de ça, fuient (les héritiers des disciples sont-ils les successeurs de lâches?). Judas, lui, ne saurait tolérer la souffrance (ou la joie) qu’il éprouve à avoir fait advenir la tragédie annoncée par le prophète, il ne saurait y survivre, lui. « Comme des frères, ils buvaient à la même coupe de douleur, tous les deux, le trahi et le traître, et le liquide de feu brûlait pareillement les lèvres pures et les lèvres impures ». C’est pourquoi il est le premier à rejoindre le Fils de l’Homme aux cieux.

Si tu n’es pas surpris par le choix d’Andreïev de faire de Judas le héros de l’histoire, et de la traiter de cette façon, je ne pourrai que le regretter. Sache quand même que l’écriture d’Andreiev avance d’un pas rapide, ses tableaux sont d’un réalisme opulent, riche de vie et de nuances, une écriture subtile même si elle traite de la folie et de l’amour absolu (cette fois on peut le dire), et de sa violence.

Dans le recueil se trouve aussi une nouvelle qui traite de l’histoire de Lazare. Où on apprend que c’est pas si cool que ça de revivre avec trois jours, aux cours desquels le temps, la chaleur et le reste ont eu le temps de commencer leur oeuvre sur le corps du pauvre homme, qui préfère peut-être, finalement, l’état de cadavre.

Ces pièces sont écrites vers 1906, période politique troublée. Andreïev a participé aux barricades, comme il ne raconte dans d’autres nouvelles, et ne peut être que désespéré par l’impuissance des uns et la survie du pouvoir des autres (vérifier que ce genre d’extrapolation est tenable ou réduit plutôt la portée du texte).

Chez José Corti, collection Massicotés, 13 euros, pas cher

7 Réponses to “Judas Iscariote, Léonid Andeïev”


  1. 1 Bartleby 22/11/2007 à 08:53

    Encore une fois, tu donnes envie. Judas est, de toute façon, un personnage fascinant. Il paraitrait (hélas, la religion m’indiffère un peu et je ne me suis pas renseigné) qu’on aurait retrouvé un Evangile de Judas qui bouleverse son image.

  2. 2 Untel 22/11/2007 à 18:20

    Cool que ça marche! Moi non plus je ne me suis pas trop intéressé à la question du nouvel évangile, vu que moi non plus je n’en ai pas grand chose à…Je n’ai relu que le Judas, hier, mais je crois me souvenir que ses autres histoires dégagent aussi ce type de puissance. Je précise aussi que ses nouvelles ne parlent pas ou pas toutes de religion. Seulement il utilise les ressources de puissance de certaines figures pour produire des oeuvres païennes, peut-être pas dénuées d’un certain mysticisme puisqu’il semble prêter à la vie et aux choses quelque chose comme un pouvoir (j’arrive plus à parler, mon patron m’a épuisé, j’espère que ce que je te raconte n’est pas trop incompréhensible, je m’en rendrai compte demain)

  3. 3 Bartleby 22/11/2007 à 20:35

    Salaud de patron ! Qu’est-ce que tu entends pas donner aux choses « comme un pouvoir » ?

  4. 4 Untel 22/11/2007 à 20:52

    Je veux dire : « Le soir, quand, avec l’obscurité, l’angoisse montait la garde aux fenêtres (…) »ou »même le silence du soir ne se réveilla pas, il ne poussa pas de cri, ne versa pas de larmes, en fit pas tinter le fin cristal de son air, tant était léger le bruit des pas qui s’éloignaient. Ils résonnèrent un instant, et disparurent. Le silence du soir se plongea dans ses pensées, il s’étira en longues ombres, s’obscurcit, et soupira soudain de tout son être en un bruissement de feuilles frémissant tristement, il soupira et se tut en accueillant la nuit. »Je cherchais un autre passage, sur l’air qui entourait les personnages, immobile et vague, mais je ne l’ai pas retrouvé. J’espère que ceux là te donnent une idée de ce que je voulais dire (poésie). Dis-moi

  5. 5 Bartleby 23/11/2007 à 06:42

    Je vois. Intuitivement, mais je vois. Une sorte de tension interne.

  6. 6 Untel 23/11/2007 à 07:27

    J’avais cité ces passages comme exemple de moment où l’inanimé, angoisse du soir ou silence, semblaient participer, comme des spectateurs animés par le sort de leur créateur, au cours des événements. L’inanimé participe au décor émotif de l’action, ce qui effectivement crée une tension, en exacerbant les émotions des personnages ou des spectateurs (le second passage se trouve à la fin de la dernière cène. Ce n’est pas vraiment une personnification, mais les choses deviennent des supports des sentiments, les reflètent ou, parfois, les accentuent. Ce n’est peut-être qu’une sorte de « truc » d’écrivain (quelque chose qui pourrait faire l’objet d’un exercice scolaire -j’essaie d’éviter) mais ça m’a marqué en le lisant. De toute façon tout ça reste intuitif puisque ce n’est pas formalisé par l’auteur, c’est juste une façon d’utiliser TOUT pour faire avancer son histoire, à un rythme d’autant plus soutenu que tout le monde participe à la marche. Un truc comme ça peut-être.

  7. 7 Bartleby 23/11/2007 à 19:23

    OK, ça m’a l’air encore plus intéressant maintenant !


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